Saint-Denis, coeur de la France

dimanche, août 23, 2009 Publié par Philippe M.

Chaque état possède une nécropole où sont enterrés ses souverains: l'escorail en espagne, le Couvent des Capucins à Vienne, Westminster en Grande Bretagne. En France ce rôle est tenu par la basilique de Saint-Denis (Seine Saint-Denis).


SAINT-DENIS HAUT LIEU DE LA FRANCE

La basilique royale de Saint Denis est surtout connue pour être le lieu où sont enterrés les rois de France et abriter un exceptionnel musée de sculptures, mais elle est plus que cela. Il existe dans d'autres nations d'Europe des nécropoles royales : l'Escurial à Madrid, Westminster à Londres, la crypte des Capucins à Vienne. Mais l'abbatiale de Saint Denis, infiniment plus ancienne, est surtout bien autre chose que l’ultime tombeau des rois. Par son origine, son rayonnement et sa puissance dus à la renommée de ses reliques et des miracles qui s’y sont accomplis, à sa perfection architecturale, à son histoire, elle est le garant de toutes les légitimités royales et reste le témoin, depuis ses origines, de l’histoire de France.
A l’origine, la légende de saint Denis l’Aréopagite.
Le grec Denys l'Aréopagite, converti par Saint Paul, fut envoyé par le Pape Clément Ier pour évangéliser Lutèce au 1er siècle. Après sa décapitation sur la colline de Montmartre, il s'en fut, portant dans ses mains sa tête chantant des cantiques à la gloire de Dieu, jusqu'à un jardin où la jeune chrétienne Catula cueillait des roses. Saisie par un tel prodige, elle s'empressa de dissimuler le précieux corps qui fut enterré à la hâte dans le jardin par d'autres disciples. Ils semèrent sur la tombe quelques graines qui germèrent instantanément afin de soustraire le corps du saint aux recherches des soldats romains lancés à sa poursuite. Le récit légendaire est complété par ce que l'on sait, en particulier par Grégoire de Tours dans son Historia Francorum. Il rapporte que sous le règne de l'empereur Dèce (IIIème siècle), sept hommes furent envoyés en Gaule pour y prêcher la parole de Dieu et que « ... le bien heureux Denys, après avoir subi divers tourments au nom du Christ, acheva sa vie terrestre sous le glaive ...». Cette indication formelle situe le martyr vers le milieu du IIIe siècle, date qui coïncide avec d'autres données dignes de foi sur les premières communautés chrétiennes en Gaule. Façade occidentale, d’après une lithographie de Chapuy en 1843. Il est maintenant historiquement établi que sept évêques envoyés par le Pape Fabien, dont l'un s'appelait Denys, furent envoyés de Rome au IIIe siècle pour évangéliser la Gaule. La ville de Lutèce lui fut dévolue. Il en fut le premier évêque et le succès de sa prédication fut tel que, considéré comme un danger pour le pouvoir établi, il fut décapité, avec ses deux principaux disciples Rustique et Eleutère, au cours de la persécution qui sévit sous le consulat de Dèce et Gracchus entre 249 et 251 Selon la pratique romaine, l'exécution eut nécessairement lieu en dehors des murs de la cité, de préférence sur une hauteur pour la rendre spectaculaire. La colline située au nord de Lutèce qui, par la tradition, est désignée comme Mons Martyrium, s'impose comme lieu des supplices. Les corps dérobés par les disciples furent ensevelis secrètement dans le cimetière le plus proche appelé Catolacus, bourg important, situé à la jonction de la Seine et des voies romaines en direction du nord, qui sera par la suite dénommé Saint-Denis à la fin des persécutions. La colline de Montmartre (mons martyrium, mont du martyre) se trouve à mi-chemin entre ce que furent Lutèce et Catolacus. Cinquante ans après le martyre, la "paix constantinienne» modifia les rapports entre la jeune Eglise chrétienne naissante et le pouvoir. Avec la fin des persécutions, les fidèles purent publiquement exprimer leurs convictions. Un premier monument fut érigé sur la triple tombe de saint Denis et de ses compagnons. Les foules se précipitèrent, attirées par les nombreux miracles qui s’y produisaient Saint Denys, premier évêque de ce qui deviendra Paris, apparaît, dès une époque lointaine, comme un protecteur. Ce pouvoir s'étendait à son tombeau comme en témoignent les premiers récits. Sainte Geneviève, la patronne de Paris, qui l'a préservé en 451 de la fureur des Huns, fit construire la première église connue, dédiée à saint Denis, vers 475, quelques années avant qu'accède à la royauté le jeune Clovis.
Clovis et Saint-Denis
Le baptême de Clovis à Reims, en 496, est à l'origine de la christianisation de la France. Parmi différentes justifications c’est aussi en raison du rayonnement, déjà très important, du sanctuaire de Saint-Denis que Clovis a choisi Paris comme capitale de son royaume, sans doute sous l'influence de sainte Geneviève. A sa suite, ses successeurs, les rois mérovingiens vouèrent un culte très important à ce lieu devenu prestigieux. Ils s'y faisaient enterrer "ad sanctos" (auprès et à l'ouest du tombeau sacré). Les fouilles ont confirmé que cette pratique existe depuis le Ve siècle, de même qu’elles ont permis de constater que l'église de Sainte Geneviève était beaucoup plus grande qu'on le supposait précédemment. Dagobert, devenu roi en 622, entreprit, avec son ministre, l'évêque Saint Eloi, de reconstruire splendidement la basilique en l'élargissant par deux nefs latérales. C'est à Dagobert que l'on doit également la fondation de la première communauté monastique régulière destinée à assurer la permanence du service divin et la garde des reliques. En 732, Charles Martel, fils de Pépin d'Héristal et Maire du Palais sauvait l'Occident à Poitiers. Les derniers Mérovingiens étant en pleine décadence, Fulrad, élu abbé de Saint-Denis en 749, négocia avec le pape Zacharie Ier de leur substituer Pépin le Bref, fils de Charles Martel.
Premier sacre à Saint-Denis
Zacharie Ier étant mort, le pape Etienne II, son successeur, vint en 754 à Saint-Denis sacrer Pépin le Bref. Le roi avait entrepris la construction d’une seconde et plus grande église qu'acheva son fils Charles, dit Charlemagne. Le sacre de Pépin a une portée historique dépassant de beaucoup le cadre de l’histoire de France. Sa portée est européenne. Le Pape Etienne II trouvait en Pépin le protecteur de l'Eglise que menaçaient les Lombards. Pépin descendit en Lombardie et, après la victoire, remit au Souverain Pontife les villes conquises. Ce fut l'origine du pouvoir temporel des Papes et de la reconnaissance pour son rôle de "La France fille aînée de l'Eglise". L'Abbé Fulrad doit en être considéré comme le principal artisan. Lors du sacre de Pépin, la nouvelle basilique était loin d'être achevée. C'est seulement le 24 février 775, dans la 7e année de son règne que l'empereur Charlemagne assistera à la dédicace de l'abbatiale carolingienne. Dom Doublet donne un texte très précieux de la "charte de Charlemagne" car il est très caractéristique de la fusion de la fortune et de la gloire de Saint Denis avec le personnage idéalisé de Saint Charlemagne : "De Dieu seul et de Toi (Saint Denis) je tiens le royaume de France" dit le grand empereur qui fit solennellement l'abbé de Saint Denis le premier des prélats de France.
Avec Charlemagne la reconnaissance européenne de Saint-Denis
Le rayonnement spirituel et artistique de l’Abbaye de Saint-Denis se répandit dans toute l'Europe et Charlemagne avait proclamé l'Abbatiale "Chef et maîtresse des églises du royaume". Ce rayonnement continua malgré le déclin de la dynastie carolingienne et les premiers capétiens purent le recueillir à leur profit. Si Hugues Capet fut proclamé et sacré roi de France en 987 et triompha du dernier carolingien Charles de Lorraine ce fut, en grande partie, parce qu'il était abbé laïque de Saint-Denis dont la puissance et le prestige rayonnaient sur toute l’Europe.
Les temps capétiens
Les Français adoptèrent pour cri d'armes MONJOIE SAINT-DENYS et le rouge gonfanon de l'abbaye devint l'Oriflamme, le symbole de l'unité de la France, levé solennellement dans la Basilique Royale à chaque occasion de grand péril extérieur. Il fut levé victorieusement en 1124 par Louis VI le Gros. En 1214, Philippe Auguste le lève et ce fut la bataille de Bouvines où face à la coalition qui menaçait la France, le rassemblement des forces venues de tout le royaume, du nord au sud, de la fleur de la chevalerie française alliée aux milices populaires et bourgeoises, brisa l'effort des envahisseurs. L'Oriflamme a disparu à la bataille d'Azincourt, probablement détruit par ceux qui en avaient la garde, pour éviter qu'il ne tombe entre les mains de l’ennemi.
A Saint-Denis est né l'art gothique
Suger, abbé de Saint-Denis (1081-1151), un des plus grands ministres de France, veut reconstruire l'église carolingienne qui tombe en ruine. Il commence par le narthex consacré en 1140 et l'abside consacrée en 1144. Il dote ces nouvelles constructions de merveilleux vitraux dont quelques uns subsistent encore. Le plan de cette église supérieure est l'archétype de celui de toutes les cathédrales qui vont fleurir en France et dans toute l’Europe Saint Louis fait en partie réédifier l'église par Pierre de Montereau, l'architecte de la Sainte Chapelle, sur un plan plus grand et plus parfait que celui de Suger, l'art gothique ayant en un siècle fait des progrès. Le roi aménage l'ensemble des tombeaux de ses prédécesseurs des trois dynasties : "Saint Louis désirait que Saint Denis soit également un mausolée où les tombes de ses ancêtres royaux ou leurs monuments commémoratifs puissent être disposés avec honneur".
Saint-Denis, les Regalia, et le cœur symbolique de la France
Depuis au moins le douzième siècle, les insignes royaux sont déposés dans le Trésor : c'est de là qu'ils sont apportés à Reims pour chaque sacre : l'abbaye de Saint-Denis fait figure de centre moral de la France. Philippe III le Hardi dépose à Saint-Denis le corps de son père Saint Louis mort à Tunis, et Charles V y fait ensevelir le connétable du Guesclin. Le 8 septembre 1429, Jeanne d'Arc, blessée devant Paris, vint déposer son épée sur l'autel de Saint Denis peu de temps avant d'être faite prisonnière. Elle y eut connaissance de la fin de sa mission. La Renaissance élève à Saint-Denis de merveilleux monuments : tombeaux de Louis XII, de François Ier et de Henri II. Henri IV embrasse à Saint-Denis la foi catholique en 1593 achevant ainsi la réconciliation des Français.

Un haut lieu de la royauté

Louis XIII et Richelieu réforment l’abbaye. Bossuet y fit entendre trois de ses admirables oraisons funèbres. Louis XIV fit élever un splendide tombeau à Turenne Mais tout n'était pas que deuils ou gravités. Que de sacres de reines, que d'illustres visites depuis celles des papes Etienne II, Adrien Ier, Léon III, etc. à tel point que l'abbaye fut appelée l'Hostellerie des Papes. Les fastes des réceptions des empereurs Charles IV et Charles-Quint sont restés célèbres.

La rupture de la Révolution

Les évènements de la fin du 18ème siècle amenèrent un changement aussi brutal que profond. Le décret de l'Assemblée Nationale du 18 février 1790 supprimait les ordres monastiques. Le 12 septembre 1792, les Bénédictins chantèrent leur dernier office. Pour célébrer "le premier anniversaire de la victoire du peuple" Barrère proposa "de détruire tous les monuments de l'église de Saint-Denis, effrayants souvenirs des ci-devant rois ;". Les 6, 7 et 8 août 1793, 51 sépultures royales ainsi que 47 gisants furent détruits. Puis ce furent les effroyables profanations des tombes. "Les fabuleuses richesses de l'ancien trésor de Saint-Denis accumulées par la piété royale depuis Dagobert jusqu'à Louis XVI, ont été à jamais anéanties par le vandalisme Jacobin, en 1793. Ses épaves sont dispersées entre la galerie d'Apollon au Louvre et le Cabinet des Médailles à la Bibliothèque Nationale " (Jean Feray ). L'Abbatiale devint le Temple de la raison puis elle fut fermée et vouée à l’abandon. Chateaubriand écrivit dans le Génie du Christianisme "Saint Denis est désert, l'oiseau l'a pris pour passage, l'herbe croît sur ses autels brisés ; au lieu du Cantique de la mort qui retentissait sous ses dômes, on n'entend plus que les gouttes de pluie qui tombent par son toit découvert, la chute de quelques pierres qui se détachent de ses murs en ruine ou le son de son horloge qui va roulant dans les tombeaux ouverts et les souterrains dévastés" (L. II, ch 9) .
De Napoléon à la Restauration
Trois mois à peine après son couronnement, Napoléon Ier qui avait tout de suite compris l'importance de Saint-Denis et qui voulait assurer une légitimité à sa dynastie, avec l'intention de s'y faire ensevelir, décida une restauration qu'il voulait rapide. Elle fut conduite de façon très médiocre et occasionna de grands désordres dans les cryptes où l'empereur voulait faire construire son tombeau. A la Restauration, Louis XVIII fit ramener à Saint-Denis, en grande pompe, les corps de son frère Louis XVI et de la reine Marie Antoinette qui, après avoir été guillotinés, avaient été inhumés au cimetière de la Madeleine. Ils furent installés dans le "Caveau Royal", rétabli dans la crypte d'Hilduin où ils furent rejoints plus tard par le duc de Berry et plusieurs autres princes de la Maison de Bourbon.

Le sauvetage de l’édifice

Des restaurations de qualités diverses furent pratiquées pendant la plus grande partie de XIXe siècle. Depuis la dernière guerre, de très importantes restaurations ont été effectuées. Les fouilles ont permis de nombreuses découvertes. Un sarcophage triple, situé dans l'axe des chœurs de toutes les églises successives, qui selon toute vraisemblance ne peut être que celui de Saint Denis et de ses deux compagnons. M. Michel Fleury a mis à jour des trésors archéologiques dont de très rares bijoux mérovingiens et le sarcophage contenant les restes de la reine Arégonde. La crypte d’Hilduin a été réaménagée. Louis XVI et la reine Marie Antoinette y trouvent leur dernier sommeil. Louis XVIII a rejoint son frère. Une place vide attend Charles X, dernier roi de France dont le corps repose encore en terre étrangère, dans l’actuelle Slovénie. La crypte des Bourbons a été elle aussi complètement réaménagée. Le cœur de Louis XVII, identifié en 2005, grâce aux récentes découvertes scientifiques, y a trouvé sa place. Une chapelle des Princes a été créée pour recevoir les cercueils du duc de Berry et de deux de ses enfants morts nés, des deux derniers Princes de Condé et des deux filles de Louis XVI enterrées initialement à Trieste. Les messes perpétuelles furent instituées par l'ordonnance du 21 janvier 1815 du roi Louis XVIII, lorsqu'il fit transporter les corps du roi Louis XVI et de la reine Marie Antoinette, à la Basilique Royale de Saint-Denis. Cette tradition est perpétuée depuis 1914 par le Mémorial de France à Saint-Denys. A noter que le roi Charles X, son fils, le duc d'Angoulême et son petit fils ainsi que leur épouse sont enterrés à Gorieia (en Slovénie) qui porte ainsi le surnom de Saint-Denis de l'exil. On peut y voir aussi le prolongement du rôle de la nécropole des rois de France berceau des monarchies européennes...
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